L'autonomie comme remède
- Lea

- 10 oct.
- 6 min de lecture

Les gens réagissent souvent par la surprise quand je leur dit que malgré ma scoliose de plus de 90 degrés, je n'ai aucune douleur, je suis prof de yoga à plein temps, ou encore que je ne regrette pas de ne pas m'être faite opérer à mes 14 ans (ce dernier point est vraiment une pilule difficile à avaler pour beaucoup de personnes...).
Et d'une certaine manière je les comprends, parce que le discours que beaucoup entendent sur la scoliose ou leur propre scoliose, va dans le sens contraire...
Alors souvent on me dit: "tu as de la chance de ne pas avoir mal au dos!"
Et je souris... parce que, non, tout cela n'a absolument rien à voir avec la chance!
Je m'explique:
J'ai eu mal au dos toute ma vie, ou du moins aussi longtemps que je m'en souvienne, même avant que l'on découvre ma scoliose. Cela s'est poursuivi toute l'adolescence et à l'âge adulte. Et bien sûr, comme tout le monde, je vivais ma vie. J'avais des douleurs quotidiennes mais je vivais ma vie.
Autrement dit, je travaillais, je faisais du sport, du yoga, je serrais les dents une partie de la journée pour tenir le coup. Et finalement je pensais que c'est tout ce qu'il y avait à faire, prendre soin de moi de cette manière, mais je m'étais habituée à vivre dans la douleur. Je ne pensais pas que ça changerait.
Et puis un jour ça a "pété, comme on dit.
J'avais alors 31 ans. Je travaillais sur un projet de doctorat, j'étais assise toute la journée, et très très stressée au quotidien, à la fois mentalement et émotionnellement.
Et les douleurs se sont graduellement - mais rapidement - intensifiées jusqu'à ce que je ressente un véritable désespoir, comme je ne l'avait jamais encore ressenti.
J'ai "touché le fond" . À ce moment là, la douleur était si forte que l'opération jusqu'alors inenvisageable était devenue une option que je considérais sérieusement.
J'ai touché le fond, alors je n'avais plus qu'une option: celle de remonter!
Il fallait faire quelque chose, je n'avais plus le choix. Aujourd'hui c'est comme cela que je comprends la notion de "crise": Elle est la pour nous pousser à changer, à nous remettre en question et à rentrer en action.
Alors c'est que j'ai fait. Cette crise m'a poussé à remuer ciel et terre pour trouver une piste, une solution pour non seulement avoir moins mal, fonctionner au quotidien, mais aussi pour ne pas devenir "folle" ou du moins tomber dans la dépression. J'avais tellement de rêves et de choses à accomplir dans ma vie! Ca ne pouvait pas s'arrêter là!
Voilà "la chance" dont on me parle, hahaha ;)
Concrètement, voilà ce que j'ai fait, et qui m'a sauvée:
Je suis sortie du déni: Je me suis confrontée à moi-même, et j'ai arrêté de vivre comme si ma scoliose n'existait pas. Je me suis confrontée à mes peurs, mes angoisses, je me suis plongée dans mes souvenirs, toutes ces années à vivre avec ce diagnostic, la manière dont je me suis construite autour de ça...
Sortir du déni est probablement l'étape la plus difficile mais aussi la plus importante, car c'est cela qui permet de comprendre par exemple les diverses manières dont on arrive inconsciemment à se mettre des bâtons dans ses propres roues et à entraver notre propre bien-être... c'est un gros travail. Mais dans mon cas, la crise était telle, que certaines prises de consciences se sont faites assez facilement, comme si on me mettait les choses sous le nez et que je ne pouvais pas ne pas les voir.
J'ai balayé tout ce que je savais sur la scoliose, tout ce que les spécialistes m'avaient dit, tout ce qui avait contribué à construire un système de croyance autour de mon corps et de la douleur physique que je ressentais. Tout balayer, pour mieux reconstruire. J'ai cherché d'autres voix à écouter, d'autres vérités. En gros j'ai cherché de l'espoir. Parce que le discours que j'avais internalisé entravait mon bien-être. C'était le discours classique du milieu médical, avec son vocabulaire alarmiste, et qui petit à petit, sans qu'on s'en rende compte s'infiltre en nous: la scoliose comme maladie, comme fatalité, l'avenir compromis, le danger, la peur, la douleur comme inévitable... tout ce champs lexical alarmiste avait fini par laisser des traces...
Il fallait m'en défaire le plus possible, et le remplacer par autre chose. À ce stade je ne savais pas exactement par quoi... mais je savais qu'il fallait que je me réapproprie ma santé, mon histoire, et l'avenir que je voulais me construire, selon mes propres termes et conditions.
J'ai donc fait des recherches beaucoup de recherches, pour comprendre, aller au fond des choses, et devenir experte de ma propre scoliose.
Bien sûr cette étape ne s'arrête jamais vraiment, je suis toujours en train de faire des recherches ;)
Ces 2 premières étapes, sont comme 2 prises de conscience, essentielles à la suite. Et la suite logique c'est: L'action. C'est à dire mettre en place des choses concrètement dans la vraie vie pour que ces prises de conscience portent fruits! En voici quelques exemples:
-Accepter que mon corps avait des besoins particuliers m'a aidé à accepter que je ne pouvais pas nécessairement faire comme tout le monde. J'avais par exemple besoin de faire des pauses, de ralentir mon rythme quotidien, de poser mes limites notamment avec mon entourage pour éviter de me vider de mon énergie. J'ai compris que j'avais besoin de temps seule pour me "recharger" par exemple.
-J'ai mis en place des routines quotidiennes d'exercices glanés ici et là à travers mes recherches pour voir ce qui pouvait m'aider (et surtout en essayant de vraiment comprendre leur logique). Je l'ai fait de manière systématique, avec un calendrier, une liste, un journal pour y rapporter mes impressions. Beaucoup d'exercices ont été abandonnés, d'autres sont restés sur la liste. De cette manière j'ai fait un tri très sélectif en commençant par ce qui allait me soulager sur le court terme, et puis progressivement, quand l'urgence de la douleur était passée, j'ai pu explorer d'autres exercices qui auraient un effet sur le plus long terme...
-Ces routines quotidiennes ne devaient pas être sources de stress et je devais pouvoir garder la motivation et discipline sur une période indéterminée (voire à vie). Mais il fallait que ce soit quotidien! Alors j'ai fait une liste de pratiques de 5 minutes, 15 minutes, 30 minutes, à choisir selon ma forme du jour. Et souvent, l'objectif était de faire 2 routines par jour!
-Cette methode et cet engagement quotidien m'ont permis de sortir de la grosse crise dans laquelle j'étais, même si parfois la douleur revenais, j'avais pris confiance en moi, je ne paniquais plus. Et à partir de là j'ai pu complexifier les choses, j'ai repris des activités physiques autres que ces routines d'exercices (je les avais mises en pause totale pendant plusieurs mois pour me dédier à ce "projet"!). La vie dans mon corps est redevenue un plaisir!
Alors tu vois, il n'y a pas de chance, il n'y a pas de miracle... si je suis sortie de cette crise, c'est parce que je me suis investie. J'irai même plus loin: je me suis responsabilisée.
J'ai accepté - profondément - que personne d'autre que moi-même pouvait réellement m'aider. Et ce n'est pas une mauvaise chose! D'autres personnes pouvaient me soutenir, me guider au besoin, mais le travail il n'y a que moi qui pouvais le faire! Accepter cela change tout, car cela pousse à reprendre son pouvoir, à se reconnecter á soi, son corps, ses désirs et envies, ses projets de vie. Tout cela c'est aussi à nous de le définir, à personne d'autres... Et on est les seul.es à savoir ce que l'on ressent dans notre corps! Personne d'autre que nous-même ne vit dans notre corps!
Et pourtant, malgré tout, remettre ce pouvoir à des instances á l'extérieur de nous-mêmes est devenu la norme dans notre société... on construit une vie ou on a plus le temps de s'écouter (attention je ne cherche pas à culpabiliser les individus, c'est en réalité un problème de société), on a plus le temps de donner à son corps le mouvement ou le repos dont il a besoin. Et on voudrait des solutions rapides à copier coller pour regler nos problématiques, car remettre en question notre vie et changer nos priorités n'est pas possible (ou on a appris à croire que c'est pas possible)...
Bref, on devient progressivement de plus en plus dépendant, on perd de son autonomie, on s'enlise...
Mais ce n'est pas une fatalité! Si je te partage mon histoire c'est aussi pour te rappeler que tout cela peut changer! Si tu le veux profondément, si tu es prêt.e à t'investir et à te responsabiliser... alors tu peux accomplir de grandes choses, tu peux habiter ton corps différemment et changer ta relation à ta scoliose et comment elle impacte ta vie...
C'est pour cela que j'aime décrire l'autonomie comme un remède:
-un remède contre l'anxiété, la peur de l'avenir, le sentiment d'impuissance et le manque de confiance en soi et en son corps...
-mais aussi parce qu'il est prouvé que l'engagement actif et conscient de la personne dans ses soins les rends plus efficaces! Car ton cerveau se connecte alors à ton corps, et il apprend de nouvelles données, il se "recalibre" pour créer des changements durables!
Si tu vis avec une scoliose, et que tu cherches à améliorer ta qualité de vie avec elle, te sentir mieux dans ton corps, voire même améliorer ta posture, ou toute autre désir que tu puisses avoir... la vraie question que j'aimerais t'inciter à te poser c'est: Suis-je prête à me responsabiliser et à m'engager vraiment dans ce travail envers et pour moi-même?
Avec toute ma bienveillance,
Léa










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